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Formation des élus
5 avril 2011

Désertification médicale : insuffler de nouvelles attractivités

Source : Localtis.info

"Quand le dernier médecin décroche la dernière plaque du village, pour les élus locaux, c'est un traumatisme", reconnaît le ministre de la Santé. Mais que faire pour lutter contre les nouveaux déserts médicaux et attirer les jeunes vers la médecine générale ? Entre mesures nationales et initiatives locales, des choses sont tentées. Comme les maisons de santé pluridisciplinaires. Et d'autres sont déjà envisagées. Pour le moment sans toucher au principe de la liberté d'installation. Les premières Rencontres de l'AMF en ont témoigné.

Pour bon nombre de maires, la désertification médicale n'est visiblement pas un concept abstrait  - notamment en milieu rural bien sûr, mais pas seulement. Le constat est sans appel : il y a de moins en moins de médecins. Et, surtout, de moins en moins de médecins attirés par la médecine générale telle que pouvaient l'exercer leurs aînés, en libéral et de façon isolée. Et moins encore de jeunes médecins prêts à s'installer dans un territoire rural a priori peu attractif...  Alors, au moment où le corps médical vieillit, assurer la succession du médecin de famille qui part à la retraite devient parfois une mission quasi impossible. "Quand la population n'a pas de solution face à ce besoin, celui d'un médecin près de chez soi, elle se tourne vers le maire", témoigne Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF). "Quand le dernier médecin décroche la dernière plaque du village, pour les élus locaux, c'est un traumatisme", reconnaît le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, en mettant en avant son vécu de maire de Saint-Quentin (Aisne), sachant que la Picardie est une région souffrant de l'une des "plus faibles densités médicales".
Tous deux s'exprimaient le 29 mars, lors d'une rencontre organisée à Paris par l'AMF sous un intitulé qui en disait déjà long : "Désertification médicale, une fatalité ? Urbains et ruraux mobilisés pour une médecine de proximité". Avec, en toile de fond, quelques données rappelées par Martine Burdilat, secrétaire générale de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) : une répartition effectivement très inégale des médecins selon les territoires, avec des "zones délaissées" (et des disparités infrarégionales voire infradépartementales), et selon les spécialités ; une vacance de postes hospitaliers importante dans les services hors CHU pour certaines spécialités ; un vieillissement (près de 40% des médecins avaient plus de 55 ans en 2010) ; une situation résultant du niveau très bas du numerus clausus des années 1990 ; un "changement de modèle professionnel" (moindre attrait du statut libéral, attractivité du monde urbain, attrait de l'exercice mixte et du statut de remplaçant...) ; des projections qui montrent que si rien n'est fait, et à comportement constant, les espaces à dominante rurale compteront 25% de médecins de moins en 2030 qu'ils n'en disposaient en 2006...

Information : "Ce ne sont pas mes seules ARS qui vont faire le boulot"

Le ministre de la Santé a insisté sur ce qui constitue à ses yeux trois idées-maîtresses : oui au volontariat et non à la coercition ; les outils existent mais ils sont "très mal connus" ; "les élus locaux doivent penser leur projet avec les médecins, les professionnels de santé, sans quoi il ne marchera pas". Et Xavier Bertrand de mettre l'accent sur "ce qui a été fait depuis 2005" : une "gestion territoriale des flux de formation" afin de rééquilibrer les postes d'internes par spécialité et entre les régions ; le relèvement du numerus clausus (passé de 6.200 en 2005 à 7.400 en 2011) ; "l'avenant 20" (possibilité pour les généralistes exerçant en cabinet de groupe dans une zone déficitaire de bénéficier de 20% d'honoraires supplémentaires en contrepartie de certains engagements en termes de permanence des soins), même si son effet "reste limité" ; le contrat d'engagement de service public (étudiants en médecine percevant 1.200 euros par mois en échange de leur engagement d'exercer en territoire sous-doté à la sortie de leurs études) ; les mesures touchant au post-internat, à la revalorisation de la médecine générale et aux cabinets secondaires... Le ministre est aussi évidemment revenu sur les fameuses maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) - définies par la loi HPST et dont le développement en milieu rural a été acté lors du Ciadt de mai 2010 -, évoquant 94 projets de MSP en 2010 et 248 en 2011, dont 205 en milieu rural.
Pour les pistes gouvernementales devant permettre d'"aller plus loin dans l'incitation à l'installation", Xavier Bertrand a notamment évoqué la poursuite de la "simplification administrative" avec la mise en place d'un guichet unique, la création d'un statut juridique plus souple pour les MSP avec la Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) prévue par la proposition de loi Fourcade modifiant la loi HPST ou encore des mesures concernant le cumul emploi-retraite des médecins. Il a toutefois insisté sur le rôle que les élus locaux ont à jouer sur un élément déterminant dans cette question de l'installation : "L'environnement de la vie du médecin", qu'il s'agisse de logement, de transports, d'écoles ou de garde d'enfants... Il a aussi appelé les élus à être plus actifs en termes d'information : "Beaucoup de mesures ne sont pas connues. Nous avons besoin des collectivités locales pour les faire connaître. Ce ne sont pas mes seules ARS qui vont faire le boulot."
Enfin, il est revenu sur son refus de toute "coercition" ou "obligation", comme il devait de nouveau le faire quelques heures plus tard devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Fourcade : "Si on commence à toucher à la liberté d'installation, la question suivante sera l'encadrement de la liberté de prescription, puis les nouvelles modalités de rémunération. Toucher à l'un des piliers de la médecine libérale, c'est déstabiliser complètement la médecine libérale [...]. Ce n'est pas mon intention."

"Il y a trop d'offre"

Cette posture a trouvé plusieurs soutiens au fil de la rencontre. Dont, sans surprise, celui du président du conseil national de l'Ordre des médecins, Michel Lengmann, celui-là même qui remettait il y a tout juste un an un rapport intitulé "Définition d'un nouveau modèle de la médecine libérale". Un rapport se penchant précisément sur les mesures susceptibles de faire face à la "crise de l'attractivité" de cette médecine (voir ci-contre notre article du 16 avril 2010). Le soutien aussi d'Elisabeth Hubert, également auteur d'un rapport, remis en novembre dernier à Nicolas Sarkozy, dans lequel elle formulait là encore plusieurs propositions relatives à la démographie médicale et à la lutte contre les déserts médicaux (voir notre article du 26 novembre 2010). "Ce n'était pas forcément mon point de vue au départ mais je le pense aujourd'hui, après toutes les auditions menées en vue de ce rapport : la coercition ne changera rien. Tout simplement parce qu'il y a trop d'offre", a-t-elle en effet expliqué.
En revanche, dans la salle du nouvel auditorium de l'AMF, les avis des élus locaux sur cette fameuse problématique de la liberté d'installation - qui a depuis plusieurs années fait l'objet de bien des mouvements de balancier, notamment au fil de l'examen de la loi HPST - étaient beaucoup plus partagés. "La situation est telle que la coercition, on n'y échappera pas", estimait ainsi le maire d'une petite commune du Finistère. "N'est-il pas paradoxal de poser en principe la liberté d'installation tout en demandant aux collectivités de financer ?", s'interrogeait l'un de ses collègues. "On a essayé tellement de choses. Jusqu'à bâtir des maisons de santé… qui restent vides", se désespérait un autre.
Pour Michel Lengmann, les pistes à explorer sont multiples et doivent être additionnées : continuer à relever le numerus clausus, "retenir les médecins qui s'échappent vers d'autres pratiques", poursuivre le dispositif des contrats d'engagement de service public (qu'il considère comme "une réelle novation"), "donner un peu d'air aux généralistes en leur permettant de s'écarter parfois de leur quotidien pour faire autre chose" (de la médecine du sport par exemple), poursuivre la politique du guichet unique dont le conseil de l'Ordre entend être le pivot, multiplier les modes de rémunération (y compris le forfait), être prêt à "autoriser les cars médicalisés même si c'est un peu de la médecine foraine"... Et, peut-être surtout, inciter les médecins à reculer leur départ à la retraite en agissant notamment sur le niveau des cotisations. Ce qui permettrait du même coup de multiplier les maîtrises de stage.
Nombreux sont ceux, d'ailleurs, qui ont mis l'accent sur cette difficulté : le fait qu'il n'y ait "pas assez de terrains de stage" et qu'il faille donc "inciter les médecins à recevoir de jeunes stagiaires", tel que l'a exprimé depuis la salle le président honoraire de l'Académie de médecine. "Il faut véritablement rétablir la notion de compagnonnage", a résumé Michel Lengmann, tandis qu'une représentante de l'Association des maires des grandes villes de France lui lançait : "Oui, mais faites vite !" En revanche, le président du conseil de l'Ordre est formel : "L'avenant 20 est un véritable échec." "On a identifié 4.200 communes ayant besoin d'urgence de l'installation d'un médecin. Or moins de 700 médecins ont adhéré à la démarche proposée", a-t-il détaillé.

Maisons de santé : "Le top", mais cher et compliqué...

Quant aux maisons de santé, dont il a naturellement été beaucoup question le 29 mars, Michel Lengmann prévient : "C'est très bien. Mais ce n'est pas la seule voie. D'autant plus que cela coûte très cher." "La maison de santé pluridisciplinaire, c'est le top. Mais il existe d'autres formules aussi", acquiesce Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons de santé, attirant l'attention des élus sur "toutes les nouvelles possibilités" ouvertes par l'article 5 de la loi HPST et relevant qu'il n'y a "rien de franchisable dans ce domaine-là". Néanmoins, le fait qu'il y ait "plein de projets de type maisons de santé partout en France" représente selon lui "un vrai espoir".
Evoquant avec énergie et enthousiasme la création de la maison de santé qu'il pilote, celle de Pont-d'Ain, Pierre de Haas s'est félicité des nouvelles pratiques auxquelles les MSP donnent souvent naissance : "En se regroupant, les professionnels de santé font forcément des choses en plus, ne se limitent plus au soin mais se mettent à travailler dans une optique de santé globale." Reste que la création d'un tel établissement est évidemment lourde, ne serait-ce que dans la phase de diagnostic et de définition, en commençant par "l'analyse territoriale des besoins et de la motivation des professionnels de santé" et en "mettant autour de la table les élus locaux, les professionnels, l'ARS puis le Sgar [secrétaire général pour les affaires régionales, ndlr], l'Université, les patients…".
Ceux qui n'auraient pas bien perçu la complexité de la création d'une MSP en auront certainement été convaincus après l''intervention de Pascale Echard-Bezault, chargée de mission "santé et cohésion sociale" à la Datar, qui recensait, au 31 janvier 2011, "environ 400 projets, dont 70 bien avancés, avec un plan de financement quasiment bouclé". Oui, les procédures liées au financement d'un projet de MSP "sont compliquées", que ce soit le projet immobilier déposé par la collectivité auprès du préfet ou le projet médical préparé par les professionnels, a-t-elle reconnu. Et ce, même si la circulaire du 27 juillet 2010 (voir notre article du 30 juillet)) est venue "harmoniser les pratiques et les financements". "Le montage de projet pour une MSP, c'est vraiment le parcours du combattant. La commune doit le porter à bouts de bras, y compris sur le projet médical, les professionnels concernés n'ayant pas toujours ni le temps ni les savoir-faire pour s'en charger eux-mêmes", est venu confirmer un maire.

"Un ensemble de mesures et du sur-mesure"

"Il ne faut pas forcément forcer sur l'idée de maisons de santé créées ex-nihilo", convient Elisabeth Hubert, même si elle estime que tout ce qui a trait aux "maisons, pôles ou autres formes de coopération" représente aujourd'hui "des éléments très positifs, dans la mesure où cela peut donner envie aux médecins, et pas seulement aux plus jeunes d'entre eux". "Aujourd'hui, ils plébiscitent le travail en équipe, le partenariat, y compris avec les professions paramédicales", constate-t-elle en effet. Souhaitant "un appui fort des ARS en termes d'ingénierie de projet", Elisabeth Hubert préconise d'ailleurs de nouveaux modes de financements qui "ne s'appuient pas uniquement sur les collectivités locales" avec, notamment, l'idée d'un "fonds de compensation" qui inciterait les médecins à "être investisseurs dans leur outil de travail". "Il n'y a pas une seule solution, il faut un ensemble de mesures et du sur-mesure en fonction des territoires", plaide-t-elle, comme elle l'avait déjà fait dans son rapport… en constatant à regret que pour l'heure, les suites attendues de ce travail tardent sérieusement à venir.
En attendant, sur le terrain, on innove, on tâtonne... et on part parfois vers des solutions qu'on n'avait a priori pas imaginées. Tel est le cas de Jean-Charles Grelier, maire de La Ferté-Bernard (Sarthe). Il a passé des petites annonces pour faire connaître le besoin en médecins de son territoire... sans succès. Il a constaté que la maison médicale montée par l'un de ses "collègues" était toujours "vide" et que "les bourses, ça ne marche pas"… Et il a opté, au final - alors même, le reconnaît-il, que son positionnement politique "libéral" ne l'y prédisposait pas -, pour la création d'un centre municipal de santé. Il considère notamment le centre municipal comme "plus simple que la MSP", notamment parce que reposant sur "un régime déclaratif" : "Cela correspond visiblement à l'attente des professionnels aujourd'hui. Nous avons eu d'emblée sept candidatures et procédé à deux premiers recrutements de salariés, dont celui du médecin coordonnateur. L'idée, à terme, sera de proposer la création d'antennes décentralisées. C'est une solution parmi d'autres... mais pour nous, c'est celle qui marche", témoigne-t-il.
Prendre sans tarder les mesures nationales permettant d'attirer les jeunes vers la médecine générale, créer les conditions d'une collaboration étroite entre élus et professionnels de santé, éviter que les collectivités des zones désertifiées aient à porter des dispositifs incitatifs trop coûteux... Sur tous ces enjeux soulevés au fil de ces premières "Rencontres de l'AMF", Jacques Pélissard a indiqué que le prochain bureau de l'association formulera, le 27 avril prochain, des "propositions d'actions". Mais a aussi prévenu que "si le bilan des mesures d'incitation se révélait inefficace", il faudrait alors changer de ton et "mettre en place, à un niveau national, un dispositif de régulation pour une meilleure répartition géographique de l'offre de soins".

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